Automne, tristesse et dépression. (Partie 2/2)

Dans la vision yogique, la dépression est un appel de l’âme à apprendre à vivre pleinement l’émotion de tristesse. L’émotion (e-motion, « en mouvement » en anglais) est ce qui nous met en mouvement. Il ne s’agit donc pas de rester enlisé dans la tristesse mais de se laisser guider de la tristesse émotionnelle à une tristesse transcendante et purifiante.

Une émotion naturelle
A sa source la tristesse est une émotion naturelle qui émerge quand nous faisons l’expérience de la perte. Qu’il s’agisse d’une perte humaine, matérielle et même immatérielle, comme une illusion, une croyance, une fidélité.
Idéalement, il faudrait l’observer couler à travers nous, en surface, sans lui opposer d’obstacle. Alors elle nous traverse, nous informe et se transforme en une autre énergie.

Mais nous avons pris l’habitude de faire autrement. Nous cherchons à la nier, la retenir ou l’enfouir. Et comme nous faisons cela depuis notre enfance avec toutes les pertes que nous n’avons pas été en mesure de gérer, toutes ces rivières souterraines se sont regroupées en un énorme fleuve de mémoire dont chaque nouvelle perte vient grossir le flot. Cela fonctionne de manière très concrète avec l’ensemble de nos des connexions nerveuses et neuronales. Nous pouvons observer dans nos vies comme un petit événement peut déclencher une réaction disproportionnée. Disproportionnée dans son intensité mais également souvent déplacée dans sa nature. Car ce « fleuve » émotionnelle ne contient pas que de la tristesse mais bien un amalgame que toutes les émotions que nous avons refoulées. Alors la tristesse peut tout aussi bien déclencher de la colère, du dégout, un sentiment d’impuissance ou tout autre « cocktail Molotov » de notre composition !

Peut-être pouvez-vous ressentir dans votre corps, ou observer dans votre vie, comment un nouveau petit ruisseau peut faire déborder le fleuve !
J’ai tellement eu peur de ces débordements dans ma vie que j’ai suis arrivé à voir ce fleuve de réactivité émotionnelle comme un monstre.

Alors j’ai pris la précaution de nier, étouffer chaque émotion avant même qu’elle apparaisse. A la rendre muette afin d’éviter qu’elle ne réveille le monstre tapis à l’intérieur de moi ! Un monstre qui c’était nourri depuis l’enfance de toute mes souffrances et émotions refoulées. Un monstre que j’ai appelé « mon corps de souffrance » après la lecture de « Seul meurt la peur » de Barry Long (Version audio gratuite, réalisé par mes soins !, disponible ICI ) , un ouvrage aussi curieux que remarquable qui m’a aidé concrètement à sortir de ce cercle vicieux.

Une lecture qui m’a permis de réaliser que ce sont les histoires que nous nous racontons, bien plus que les pertes elles-mêmes qui entretiennent la tristesse et notre « corps de souffrance ». Cela allant jusqu’à entrainer des schémas auto-réalisateurs qui modèlent des situations futures qui nous font revivre encore et encore la perte, voir le rejet ou l’abandon.

Nous pouvons à partir de cette reconnaissance, aidé par la pratique de la méditation, discerner l’émotion naturelle de tristesse de celle accumulée et enfouis. L’une passagère nous traverse et se recycle dans le présent. L’autre nous immobilise, nous sommes comme enlisé dans le passé ou le futur. Un passé et un futur tellement vaste et multiple qu’il ne peut pas être réel, qu’il ne peut pas être le nôtre.

La tristesse transcendante
Réaliser cela ouvre la porte de ce que l’on peut appeler une « tristesse transcendante ». La tristesse transcendante commence par la réalisation que la souffrance et le chagrin sont universels, qu’ils arrivent dans la vie de chacun. En reconnaissant cela, nous pouvons nous éloigner de l’identification à la tristesse et commencer à travailler vraiment avec elle comme une énergie motrice.

J’aime l’appeler « transcendante » car elle m’a permis de m’élever, là ou la tristesse émotionnelle m’affaissait. Transcendante car elle m’a permis de créer, là ou la tristesse émotionnelle me poussait à répéter encore et encore les mêmes histoires.

Ce que j’appelle ici « tristesse transcendante » est l’expérience vécue de la première Noble Vérité du Bouddha : il y a de la souffrance.

Cette réalisation ressentie dans le corps permet de prendre de la hauteur. D’englober notre tristesse personnelle dans une réalité plus vaste.

Toute tristesse fait partie d’une tristesse humaine non personnelle que nous ressentons lorsque nous réalisons que rien ne dure, que les choses se réalisent rarement comme prévu et que le monde est d’une apparente injustice.

Depuis des siècles des yogis, des méditants et d’autres mystiques de tous bords décrivent avec leurs mots la même expérience. Rester en présence, en conscience, de notre tristesse de base, comme à la base de toute autre émotion, a un pouvoir libérateur et peut être un catalyseur pour une profonde ouverture spirituelle.

Frédéric Marr.

Le maître Bouddhiste Chögyam Trungpa, quand on lui demandait ce qu’il faisait quand il ressentait un profond mal-être, disait : « J’essaye de rester dedans le plus longtemps possible. »

Il ne s’agit de s’enliser ou de cultiver la souffrance mais de faire l’expérience qu’en se tenant calme digne et confortable dans son flot on pouvait s’en libérer.

Trungpa décrit dans ces enseignements une pratique tantrique qui consiste à rester en présence, même des fortes expériences douloureuses, et de travailler avec elles comme des énergies.

Cette approche est radicalement différente de ce que nous faisons habituellement. La plupart d’entre nous gérons superficiellement nos souffrances en les évitant ou en les rationalisant.

Combler par la nourriture, l’alcool ou autres drogues, se noyer dans le travail, le sport ou la procrastination numérique, sont des stratégies d’évitement. Nous utilisons n’importe quelle ressource extérieure pour produire quelques « hormones du bonheur ». Nous pouvons aussi rejeter la faute sur les autres, le monde ou sur nous-même, plutôt que d’accepter la réalité de la souffrance. Nous savons également trouver refuge dans une compréhension psychologique ou spirituelle qui légitime voir même valorise cette souffrance.

Tant que nous n’avons pas les ressources pour faire autrement, il est parfois nécessaire d’éviter. Nous pouvons voir cela comme un palier. Soit nous nous y installons, soit nous nous y ressourçons un temps avant de reprendre l’ascension !

Car la tristesse commence à révéler son véritable pouvoir de transformation lorsque que l’on désire sincèrement se débarrasser de nos stratégies d’évitement. Alors, en laissant se dissoudre les idées, les associations, les histoires que l’on échafaude à son sujet, nous nous ouvrons à un nouvel espace de perception et de compréhension. C’est un plongeon dans le présent, dans la sensation, qui ne laisse aucune place à la plainte, la nostalgie ou au romanesque. C’est une expérience directe de notre incarnation.

En pratique
Commençons par nous asseoir avec cette tristesse dans une posture digne et confortable. Laissons nous ressentir cette tristesse. Observez où elle se situe dans le corps. Sans rien changer à notre respiration, respirons dans la partie du corps où elle se situe, en laissant la sensation être. Restons avec elle pendant un moment. Ne cherchons pas à changer quoi que ce soit. Simplement ressentir, sans rien ajouter, sans rien retirer à ce qui est là.
Des prises de conscience, des informations à votre sujet, peuvent émerger. Quand cela arrive, notez-les simplement mentalement et revenez, autant de fois que nécessaire, à l’expérience physique immédiate.
Ce genre de travail intérieur demande un certain degré de courage, de volonté et d’entrainement à maintenir notre attention sur la sensation, a ressentir pleinement et sincèrement. Car ce n’est pas facile de faire face aux sentiments de blessure et de chagrin, notamment parce que nous avons tendance à nous identifier, à nous fondre avec ces sentiments.

Pour travailler avec les émotions fortes sans se laisser submerger, il est indispensable d’avoir une pratique qui nous permet de faire l’expérience qu’il y a quelque chose au-delà de notre « personnage de souffrance » qui s’identifie aux émotions. Ce sens plus large est souvent appelé « le témoin » ou « l’observateur », nous l’appellerons ici « l’être ». Depuis cet espace, je peux être présent, en paix, à ces émotions/sentiments sans les justifier, les juger ni les blâmer. Juste ressentir.

Pour la plupart d’entre nous, la rencontre avec «l’être » survient plus facilement en méditation. Il est même parfois nécessaire au préalable d’optimiser notre chimie corporelle, dans mon cas avec le kundalini yoga. Plus nous sommes capables de nous ancrer dans cet espace de « l’être », plus nous pouvons accueillir, accepter, et « surfer » les émotions qui émergent. Nous ne cherchons plus à nous mettre à l’abri de la tristesse mais à un endroit plus élevé qui englobe la tristesse dans un tout beaucoup plus vaste.

La tristesse à notre propre inertie
En travaillant sur la tristesse de cette façon, nous pouvons prendre conscience d’une autre couche de «tristesse transcendante » : une tristesse à notre propre inertie.

Le psychologue spirituel John Welwood appelle cela la « tristesse purifiante », ou la tristesse de l’âme, une reconnaissance directe selon lui du « prix que nous avons payé pour rester englués dans nos schémas étroits en nous détournant de notre plus large nature ».

« La tristesse purifiante » est l’une des plus puissantes motivations à la transformation, qu’il m’a été permis de toucher à ce jour.

En ressentant que ma profonde tristesse n’était pas liée aux histoires que je me racontais à son sujet mais bien à ma difficulté à vivre pleinement librement et joyeusement ma vie, c’est comme si l’énergie que gaspillait mon égo se remettais au service de mon âme.

Cela demande de s’engager à résister à l’envie de nous juger, de nous reprocher de ne pas être meilleur, plus conscient, ou plus compatissant. Lorsque nous nous permettons de ressentir cette « tristesse purifiante », nous nous ouvrons à notre propre aspiration à l’éveil, notre désir de vivre avec intégrité, d’abandonner notre « personnage de souffrance » et découvrir l’être unique que nous sommes vraiment, un être libre et puissant.

Il ne s’agit donc pas de s’installer dans la tristesse, même « transformante » ou « purifiante ». Mais de les considérer comme des courants, des énergies, que nous pouvons utiliser dans notre cheminement vers une façon de vivre notre vie avec un cœur ouvert. Lorsque nous apprenons l’art de laisser la tristesse nous amener jusque dans le cœur, ce que nous trouvons n’est pas de la tristesse mais de la tendresse, pas de la souffrance mais de la paix. L’autre face de la tristesse est quelque chose qui ressemble étrangement à l’amour !

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